LE PROGRES – LE COURRIER
Vendredi 21 avril 2006
Théâtre
Les folles d’enfer de la Salpêtrière
Femmes d’Histoire et histoire de femmes
Jusqu’au 22 avril, des femmes d’aujourd’hui se réunissent pour dire la misère de celles d’hier.
Des femmes de toutes générations, de tous milieux, venues des campagnes ou des quartiers. Des femmes aux vécus différents, ordinaires, sans histoire ou plombés de douleurs. Des femmes qui ont
voulu ne faire qu’une, autour du texte de Mâkhi Xénakis, Les folles d’enfer de la Salpêtrière, déjà illustré ces dernières semaines par l’exposition des sculptures de l’artiste, sur le même
thème, au Centre d’art Passerelle. Mis en scène par Geneviève Robin, directrice artistique de la Compagnie Paris Atlantique, ce texte inspiré des registres de la Salpêtrière, où furent, des
siècles durant, enfermées les femmes dont la société ne voulait plus, prend une étonnante résonance dans les bouches de ces 20 finistériennes, pour la plupart néophytes dans l’art de la
« comédie ». Néophytes et bénévoles car bien conscientes que le passé qu’elles font revivre sur la scène brestoise pour quelques heures n’est jamais loin de ressurgir, dans l’un ou
l’autre des théâtres de la société contemporaine.
Elisabeth Jard
Lucille, 25 ans
« Cette discrimination vis-à-vis de la différence »
« Une interférence entre ce texte et ma sensibilité, » Voilà pourquoi Lucille, 25 ans, actuellement bénéficiaire du RMI s’est lancée dans l’aventure des « Folles »,
Bien sûr, la jeune femme a été touchée par cette histoire qui n’a que rarement paru dans les pages « de l’histoire que l’on nous enseigne à l’école ». Elle y aura aussi très
largement retrouvé les réflexes et les peurs d’aujourd’hui, face à ces autres, pas forcément fous, mais seulement différents. « J’ai un peu connu la rue et j’y ai rencontré des gens
peut-être perturbés, mais qui avaient tellement d’autres choses à apporter. Aujourd’hui, on continue cette discrimination vis-à-vis de l’autre et de sa différence, pour ne pas se remettre en
question soi-même », estime-t-elle. Pas question pour autant de se faire vengeresse, donneuse de leçon : « C’est au spectateur de prendre ce qu’il veut bien dans ces
textes. Peut-être qu’un message de tolérance pourra passer, peut-être pas. Pour moi en tout cas, l’important est d’avoir vécu tout ça à fond, et puis de le garder en moi ... »
Maryse, 52 ans
« La chance de ne pas vivre tout ça »
Il fallait que ça sorte.
Ces douleurs et ces souvenirs enfouis, ces peurs que l’on ne s’autorisait pas à verbaliser à une époque pas si lointaine. Alors, quand le texte de Makhi Xénakis est venu se glisser dans les mains
de Maryse, l’évidence s’est faite. « C’est loin tout ça, mais il n’y a pas si longtemps encore, des hommes faisaient interner leur femme. j’en avais le souvenir personnel, et je
regrettais ne pas avoir pu en parler. » Et puis sa réalité d’invalide a aussi donné à Maryse d’autres clés d’entrée dans ce texte : « À cette époque là, sans doute que
j’aurais fait partie de ces « folles » ... ».
Confusément, Maryse sait qu’elle ne pouvait pas refuser de porter ces histoires devant les yeux de ses contemporains. « En hommage à toutes ces femmes qui ont connu une souffrance que je
peux comprendre. Pour que les gens sachent, aussi, que dans ce monde où l’on vit tous de façon trop individuelle, on a quand même de la chance, malgré tout ce qui se passe, de ne pas vivre tout
ça ... »
Micheline, 73 ans
« J’aurais pu en faire partie »
Dans sa vie de maman au foyer, Micheline n’a jamais vraiment été féministe. Et ce n’est pas aujourd’hui, sur scène, qu’elle entend le faire. « Mais en lisant ce texte, j’ai vécu ces
femmes comme si elles avaient été mes sœurs : il y avait parmi elles tous les âges ... j’aurais peut-être, à l’époque, pu en faire partie », sourit tristement la nouvelle
comédienne. Touchée, Micheline l’aura été durant toute l’aventure. Par les douleurs du texte, les réalités d’hier, « cette violence et cette injustice que l’on craint encore de retrouver
aujourd’hui ». Par le bonheur des échanges, entre générations, entre familles sociales qui s’ignorent habituellement. « Tout m’a apporté : ici, personne ne tenait compte
des âges. Nous avons travaillé toutes ensemble, un lien s’est créé. Et quelles que soient les générations, nous avons toutes ressenti ce texte de la même façon », apprécie-t-elle. En
espérant, simplement, que leur jeu commun touchera au but : « Que toutes ces femmes qui ont disparu dans l’anonymat, puissent être un peu reconnues aujourd’hui. »
BREST Théâtre : la folle épreuve des femmes de la Salpêtrière
Ce soir et demain, à Passerelle, une vingtaine de comédiennes amatrices brestoises, soutenues par trois professionnelles, rendront hommage aux femmes enfermées à la Salpêtrière pendant
deux siècles. Inspirée de l’œuvre de Mâkhi Xenakis, « Les folles d’enfer de la Salpêtrière » est un incroyable témoignage, une œuvre à voir par tous.
Elles sont trois, trois comédiennes devant leur pupitre. A leurs pieds, des livres épars, des registres, des listes de noms ... Ce sont les poussiéreux documents de « l’hôpital général pour
le renfermement des pauvres de Paris » : la Salpêtrière. Depuis une décision de louis XIV en 1684 et jusqu’au début du XIX siècle, l’établissement se dote d’un hospice et d’une prison
pour les femmes. Plus de 100.000 femmes, filles, mères ou vieillardes, y seront enfermées dans des conditions infernales.
Une folle liste ...
Derrière les lectrices, qui lisent des pages inspirées du livre éponyme de l’écrivaine et artiste Mâkhi Xenakis, une grande croix de sable s’étale sur la scène. Car jusqu’en 1848 et l’arrivée de
Charcot, à la Salpêtrière, on ne soigne pas les corps, on soigne les âmes. On soigne à coups d’incessantes prières, de douches d’eau glacée, de saignées, de viols aussi, de prières encore ... On
soigne « les mendiantes, mais aussi de plus en plus les filles de joie, les folles, les orphelines, les libertines, les protestantes, les paralytiques, les crétines, les juives, les impies,
les criminelles, les ivrognes, les mourantes, les sorcières, les mélancoliques, les aveugles, les adultérines, les homosexuelles, ( ... ) les érotomanes, les filles gâtées, les suicidaires, les
bohémiennes, les filles grosses ... »
Des statues vivantes
Peu à peu, le témoignage des trois comédiennes prend une autre dimension. Elles sont là, ces femmes, qui passent, repassent et témoignent autour de la croix. Elles sont une vingtaine à faire
revivre toutes celles qui ont laissé la plus grande partie de leur vie dans cet enfer. Ces Brestoises, toutes comédiennes amatrices, ont suivi le metteur en scène Geneviève Robin , de la
compagnie Paris Atlantique, dans l’aventure théâtrale. Elles incarnent les « folles », elles les portent littéralement lorsque, au cours de la pièce, les dizaines de statues de Mâkhi
Xenakis sont disposées au centre de la scène. Nouvelle mise en abîme, nouvelle dimension des prisonnières de la Salpêtrière quand statuettes et comédiennes se confondent, se rencontrent et se
témoignent un immense respect, à travers les époques.
« Les folles d’enfer de la Salpêtrière » est un hommage, une œuvre humble et citoyenne portée par des femmes. A découvrir, à soutenir ce soir et demain au centre d’art Passerelle.
Joël Langonné